G3-guides a organisé un tour odonatologique du 29 juin au 3 juillet 2024, en guise de point d’orgue de la 7e édition du Congrès européen d’odonatologie de Séville (Espagne). Nous avons principalement exploré le bassin versant du Río Guadiaro comprenant les rivières Genal et Hozgarganta, souvent considérées comme étant les dernières rivières sauvages du sud de l’Espagne. Nous nous sommes également aventurés près d’El Chorro pour découvrir la faune de petits ruisseaux permanents… avec jusqu’à quatre odonates européens rares et emblématiques (!). Le voyage était complété par la visite de localités à eau stagnante dans le but d’ajouter des espèces libellules sur notre liste.
Onychogonphus cazuma… la libellule que nous voulons tous voir, bien sûr… Photo : Agnieszka Tańczuk.
Lors de ce voyage, nous avons pu profiter d’une belle liste de libellules avec 38 taxons observés, toutes les espèces cibles étant couvertes. Nous pouvons nous réjouir car il n’est pas si courant d’avoir autant de succès / de chance. Le groupe était assez nombreux et offrait une agréable compagnie. Dans l’ensemble, nous avons passé de splendides moments sur le terrain et au village… avec des souvenirs impérissables, c’est sûr. Je remercie Marta Villasán, Julia Guerra, Geert de Knijf et Cécile Malige pour leur aide sur le terrain ; je dois une reconnaissance particulière à Mónica, Stefan et Silvia de Benarrabá. Bien sûr, chacun apporta sa touche personnelle au projet et je tiens à exprimer ma reconnaissance à tous les participants.
Dans cet article, je ne développerai que quelques moments marquants du tour. Un compte-rendu complet du voyage, rédigé par Julia, devrait être publié prochainement dans la newsletter de l’association Dragonfly Conservation in Europe, nouvellement créée. Quel honneur !
Jour 1
Déjà une poignée de libellules
Nous avons visité un petit réservoir (< 5 hectares) situé dans la forêt de chênes-lièges (Quercus suber) près de Ronda. Ce plan d’eau maintient un niveau d’eau (plus ou moins) régulier tout au long de l’année et se caractérise par des berges à pente douce peu profonde et une végétation aquatique clairsemée… Dans l’ensemble, la localité est donc très propice aux libellules. Le seul inconvénient est la présence massive de Gambusies (Gambusia affinis) qui m’impressionne à chaque visite. Cette localité serait véritablement merveilleuse sans cette espèce invasive.
L’endroit est un lieu de visite assez classique pour le Gomphe de Gené (Paragomphus genei), mais nous l’avons raté. Au lieu de cela, nous avons pu observer la communauté entière des libellules présentes dans les zones humides d’eau douce du sud de l’Espagne. Avec 16 espèces, le réservoir fût l’une des localités les plus diverses du voyage. L’Orthétrum effilé (Orthetrum trinacria), le Gomphe gentil (Gomphus pulchellus) et l’Agrion nain (Ischnura pumilio) ont été particulièrement intéressants en raison de leur relative rareté en Andalousie.
Jour 2
Une rivière qui vous offre tout !
Le deuxième jour, nous nous sommes concentrés sur le Río Guadiaro… pour avoir l’opportunité d’observer le plus tôt possible dans le voyage les espèces lotiques méditerranéennes les plus rares. Le fleuve conserve les débit et profondeur les plus élevés du canton, et il est également possible de l’explorer à pied dans la plupart de ses localités… Dans ces conditions, la découverte de l’odonatofaune est très agréable. Nous avons visité trois sections du Guadiaro en évitant un tronçon central qui était déjà totalement à sec (!). À noter, des digues transversales construites régulièrement sur la rivière créent des sections plus profondees propices à la Cordulie splendide (Macromia splendens), la plus insaisissable et la moins abondante de toutes les espèces fluviales… Repérer plusieurs individus de cette espèce simultanément est un exploit. Nous avons visité mon meilleur spot pour l’espèce, et j’étais nerveux bien sûr, mais quand « nous l’avons fait », je savais que le voyage était déja un succès.
Une autre libellule unique dans la faune européenne : Macromia splendens. Photo : Agnieszka Tańczuk.
Nous avons pu observer en grand nombre toute la panoplie des espèces lotiques : Cordulie à corps fin (Oxygastra curtisii), Gomphe de Graslin (Gomphus graslinii), Gomphe à crochets (Onychogomphus uncatus), Orthétrum à taille fine (Orthetrum chrysostigma), Zygonyx torridus, Aeschne paisible (Boyeria irene), Agrion blanchâtre (Platycnemis latipes), Caloptéryx hémorroïdal (Calopteryx haemorrhoidalis) ainsi que plusieurs individus d’Agrion orangé (Platycnemis acutipennis). Plus deux Trithemis, etc. Quelle espèce fût la plus appréciée ? Probablement, les Zygonyx, pour leur distribution europénne très restreinte, un type de vol continue à mi-hauteur qui facilite de très belles observations et finalement leurs exuvies uniques dans la faune européenne. Malgré la chaleur, nous avons pu profiter de la rivière aussi longtemps que nous le voulions !
Jour 3
explosez les compteurs
Levez matutinal pour une très longue journée de terrain… et circuler 200 km sur les routes de montagne de la Serranía de Ronda dans le but visiter au moins trois localités… si petites en taille qu’on se demande bien comment les Odonates sont capables de prospérer dans des habitats aussi minuscules.
Orthétrum à nervures jaunes (Orthetrum niditinerve). Mâle.
Premier arrêt : un ruisseau peu impressionnant, de très faible profondeur mais aux eaux permanentes, situé dans un paysage agricole ouvert. Il s’avère que c’est le meilleur habitat possible pour Orthétrum à nervures jaunes (Orthetrum niditinerve) et l’Agrion à stigmates pointus (Coenagrion caerulescens), deux libellules menacées et qui deviennent incroyablement rares dans le sud de l’Espagne. D’autres libellules (O. brunneum, O. chrysostigma, O. coerulescensi) partageaient l’habitat ainsi que le Z. torridus, que nous avons trouvé à de nombreux endroits tout au long de ce voyage.
Nous nous cachons des températures élevées sous un petit pont isolé, protégé par des modules en béton préfabriqués. Quelle ambiance chaleureuse et surtout fraîche.
Onychogomphe de Cazuma (Onychogonphus cazuma) mâle.
Nous nous dirigeons ensuite vers l’étape suivante (en deux groupes pour des raisons de sécurité) : un minuscule suintement situé le long d’une route, alimenté par un ruissellement permanent. Nous connaissons le succès avec un mâle et une femelle d’Onychogomphe de Cazuma (Onychogomphus cazuma). La localité ne lasse pas d’étonner nos collègues odonatologues sur la sélection d’habitats des espèces méditerranéennes. Le Cordulégastre annelé (Cordulegaster boltonii) et quelques autres espèces d’Orthetrum se reproduisent également sur le site.
Onychogomphe pâle (Onychogomphus costae). Couple reproducteur.
Nous atteignons enfin notre destination finale sur la rivière Guadalhorce. Plusieurs individus de Brachythemis impartita nous surprennent avant que nous n’atteignions le meilleur spot pour les odonates. Ensuite, nous assistons à un véritable festival d’Onychogomphes pâles (Onychogomphus costae), probablement la meilleure localité que je connaisse pour observer l’espèce en Andalousie. La libellule est présente en abondance, surtout pour un gomphide, qui plus est une espèce rare ! Nous sommes ravis de constater que les individus en phase d’accouplement semblent si concentrés sur leur tâche qu’ils ne s’envolent pas bien vite, facilitant grandement leur photographie. Très agréable pour notre horde avide d’observateurs/voyeurs de libellules.
Day 4
Le Détroit infini
Une visite sur le Détroit de Gibraltar s’imposait étant donnée notre équipe éclectique d’Européens. Nous avions une belle représentation avec des Grecs, des Slovènes, des Hollandais, des Suédois et ainsi de suite jusqu’à 15 nationalités… Très cool.
Première visite à la Laguna Huerta de las Pilas, une zone humide localisée près d’Algeciras. Quelques libellules, jamais vues jusqu’ici, sont apparues comme par hasard, à savoir les Sélysiothémis noir (Selysiothemis nigra), le Diplacodes de Lefebvre (Diplacodes lefebvrii) et Sympétrum méridional (Sympetrum meridionale). Comme attendu sur une lagune d’eau permanente et profonde, les Trithemis annulata (Trithémis pourpré) volaient en nombre.
L’Orthetrum trinacria, une espèce typique des eaux calmes du sud de l’Europe (Photo : Julia Guerra Carrande).
Malheureusement, la visite de l’Hozgarganta pendant l’après-midi n’a gère plus révélée que débit et qualité de l’eau étaient déjà mauvais à la fin de printemps. La rivière n’était donc pas à la hauteur de nos attentes. C’est pourtant l’un de nos spots préférés dans la région et une telle dégradation est vraiment inquiétante. Plusieurs individus d’Erythromma viridulum furent cependant observés parmi les Erythromma lindenii.
Jour 5
Le Genal et sa chute
Enfin, nous nous devions de visiter la rivière Genal avant de quitter la Serranía en direction de Séville. Nous avons passé un très bon moment à Benarrabá… Et juste préparer les bagages et partir prennent du temps… mais nous n’étions pas pressés. Nous arrivons à la Venta de San Juan, une localité typique pour passer la journée à la fraîche et très fréquentée en été. Nous savions d’avance que nous allions y trouver des piscines artificielles creusées à coup de pelleteuses et autres engins lourds. Les espèces s’accordèrent à cette prédiction et très peu nombreuses à voler sur la rivière. Une perspective bien triste quand on pense que cet endroit était, il y a seulement quelques années, l’un des meilleurs endroits d’Europe pour Macromia, Graslini, Oxygastra… Alors, à quoi peut bien servir la Directive Habitat ? Nous avons évidemment vu quelques libellules, souvent des Orthetrum étant plus tolérants aux perturbations.
Après un dernier pique-nique conviviale, il nous restait à « suivre le flow », laisser les libellules méditerranéennes jusqu’à la prochaine visite et préparer notre retour. Ce fut un voyage merveilleux et je suis profondément reconnaissant avec tous les participants. Nous espérons vous revoir bientôt.
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