Menace #1 : la crise de l’eau à Doñana
Un très fort déficit hydrique se fait sentir à Doñana, la plus prestigieuse zone humide d’Espagne, un processus malheureusement en cours depuis au moins cinquante ans et très fortement aggravé lors des deux dernières décennies. L’augmentation de la pression exercée par l’agro-industrie et le tourisme de masse (deux secteurs économiques excessivement puissants) n’a jamais diminué pendant toute cette période, bien au contraire. Parallèlement, les conditions climatiques se sont aggravées avec des baisses sévères de précipitations, en partie imputables au changement climatique. D’un côté, toujours plus de ressources sont pompées dans les nappes phréatiques ; de l’autre, moins d’eau pluviale inonde la zone humide et recharge son aquifère. Le résultat est une répétition d’années ‘mauvaises’ à Doñana, c’est-à-dire des années sèches voir franchement arides.
La dégradation des écosystèmes aquatiques est à l’origine même du parc national. Elle a été largement étudiée par les scientifiques de la Station Biologique de Doñana et de l’Université de Séville, et dénoncée par les ONGs conservationistes, principalement le WWF et Ecologistas en Acción. Notons que les partis politiques au pouvoir dans la région sont les grands responsables d’une situation de plus en plus intenable, car ils ont toujours éviter la régulation efficace des ressources hydriques, afin d’une part, de ne pas enrayer un moteur économique multi-millionaire et, d’autre part, d’assurer leur base électorale.
Quand cessera la dégradation de Doñana?
Septembre 2022: Lagune de Santa Olalla assèchée
Ce symbole de Doñana apparaît dans tous les médias espagnols. C’est la plus étendue et la plus profonde du manteau dunaire, conservant de l’eau même en été, seulement assèchée en 1983 et 1995 auparavant. Source: CSIC.
2022: Campagne internationale du WWF
L’ONG réalise de nombreuses actions afin de promouvoir une agriculture des fruits rouges plus respectueuse de l’environnement et demander l’arrêt des extractions illégales d’eau à Doñana.
2022: Crise institutionnelle au Parlement d’Andalousie
Début 2022, le Parlement andalou vote, en pleine situation de sécheresse, l’amnistie des 1 600 ha illégaux, qui représentent environ 10% du secteur des fruits rouges, ouvrant ainsi une grave crise institutionnelle.
2021: La Comission europénne « se mouille »
Courant 2021, la Comission Européene envoie une carte très dure à l’Espagne pour l’enjoindre à respecter les normes environnementales et assurer la conservation de Doñana à long terme.
2021: L’aquifère de Doñana en état de sur-exploitation
En 2021, la Confédération Hydrographique du Guadalquivir (administration nationale) n’a pas eu d’autre choix que de déclarer l’aquifère de Doñana en état de sur-exploitation (voir état de l’aquifère de Doñana). Les ressources hydriques diminuent drastiquement ce qui promet de mettre en péril le secteur… dont la principale revendication est de capter l’eau du bassin-versant voisin Tinto-Odiel-Piedras pour continuer son activité.
« Fruits rouges »: fraises espagnoles et petis fruits
Une mer de serres en plastique dédiées à la culture de la fraise et des petits fruits s’étend dans la périphérie des zones protégées, à l’ouest de El Rocío, et consomment plus de 90 hm3 annuels. Cette puissante agro-industrie a créé des problèmes environnementaux (prédation des ressources hydriques) et sociaux (main d’œuvre immigrée très souvent exploitée ; implantation de partis politiques xénophobes) considérables qui ternissent la réputation du secteur et dégradent l’intérêt de sa production pour des consommateurs de plus en plus soucieux de l’environnement.
Évolution des cultures irriguées sous serres plastique dans la province de Huelva
Les nappes phréatiques superficielles du manteau sablonneux de Doñana sont particulièrement sensibles aux extractions agricoles. En conséquence, tout le bassin-versant de La Rocina se retrouve asséché alors qu’il constitue le principal affluent des marais de La Madre visibles à El Rocío… Les mares del Abalario, les lagunes del Acebuche et le coeur du Parc National sont durement impactés.
En 2014, un Plan d’agencement de la couronne forestière de Doñana fut approuvé, malgré les pressions écologistes, légalisant toutes les parcelles transformées légalement ou illicitiment jusqu’à l’année 2004 (agriculteurs « légaux »), et contemplant l’élimination des cultures transformées postérieurement à cette date (agriculteurs « pirates »). La seconde partie du plan ne fut jamais mise en oeuvre.
Le WWF estime à environ 1 000 le nombre de puits artésiens illégaux utiliser pour irriguer ces cultures, un agriculteur ayant même récemment bâché une section d’un ruisseau afin d’y stocker l’eau.
Les décisions politiques controversées et la sécheresse de l’hiver 2021/22 marquent probablement un point d’inflexion au point de se demander si l’on n’a pas franchi un point de non-retour en ce qui concerne la gestion des ressources hydriques… Les zones humides sont à la fois fragiles (refuge d’espèces aquatiques, souvent rares et vulnérables) et résilientes (le grand pouvoir de l’eau, même après plusieurs années de sécheresse)… Doñana restera Doñana, transformée, amputée et diminuée… Par contre, les habitants et les cultures agricoles ne peuvent pas survivre sans eau. La situation de stress hydrique est à tel point élevée qu’elle a généré un important conflit de l’eau.
Matalascañas: une pompe au coeur de Doñana / de l’été
La station balnéaire de Matalascañas, développée dans les années 70 aux abords même du Parc National, accueille 150 000 vacanciers en été (jusqu’à 300 000 personnes certains weekends) ainsi qu’un important golf honteusement auto-proclamé d’écologique. Trois hectomètres cube (hm3) d’eau douce sont pompés dans la nappe phréatique impactant directement les grandes lagunes dunaires proches, dont certaines sont aujourd’hui asséchées en permanence.
Pour combler le tout, la station d’épuration est insuffisante et des fuites d’eau grises ont lieu de forme régulière.
Évolution du tourisme dans la province de Huelva
PLUS D’INFOS: Díaz-Paniagua & Aragonés (2015). Permanent and temporary ponds in Doñana National Park (SW Spain) are threatened by desiccation. Limnetica, 34(2):407-424.
Rizières et polders: des cultures irriguées en pleine mutation
A l’est, dans la province de Séville. Les cultures des rizières et des polders consomment jusqu’à 200 hm3. Cette eau est principalement acheminée par divers canaux qui drainent tout le bassin-versant du Guadalquivir. Curieusement, le fleuve transporte souvent plus d’eau pendant la période estivale pour les besoins des rizières que pendant la saison des pluies. Seuls de rares phénomènes de crues rétablissent l’ordre naturel.
Probl`mes du secteur: forte consommation d’eau pour lutter contre la salinité. forte augmentation de la turbidité depuis plusieurs années et problèmes de colmatation.
Dans un contexte de pénurie généralisée de ressources hydriques et d’augmentation exponentielle des cultures irriguées (oliveraies ‘modernisées’), la question du partage de l’eau entre communauté d’agriculteurs.
La situation est telle que récemment des grands propriétaires souhaitent transformer une partie des rizières en oliveraies.