Le film ouvre sur une longue et époustouflante scène de fusion flamenco-soufi, qui met en scène le génie de la guitare flamenca Tomatito et un ensemble de musique nord africaine à l’andalouse qui accompagne les chants soufis de Sheikh al Tuni. C’est filmé en brut, comme par un spectateur avec un smartphone, ce qui nous plonge complètement dans l’ambiance de la soirée. Filmé à Alcoutim sur le fleuve Guadiana, à la frontière avec le Portugal.
Un film sur l’Andalousie et les fêtes gitanes
Réalisé par Tony Gatlif et sorti en 2000, Vengo remporta un beau succès dans les salles françaises, bien qu’il reste assez peu connu en Espagne. Le film ne laisse pas indifférent… souvent, on l’adore ou on le déteste. La musique de la B.O. est fantastique et lui valu un César de la meilleure musique. A titre personnel, je l’avais vu en salle obscure à l’époque et avait été enthousiasmé, quelques mois seulement avant de prendre les valises pour le pays de Cervantes. La chanson « Naci en El Alamo » m’avait particulièrement touchée. Vengo est LE film flamenco où souffle un duende andalou à longueur de pellicule. Son auteur le décrit comme un cri, un chant, un hymne à la vie, à l’amour, au deuil, au pacte du sang. Il existe un long commentaire assez disgressif sur ce film sur la page de Cinélégende.
Je l’ai revu récemment et toujours autant aimé. Après quasi deux décades passées en Andalousie, j’ai à cœur de lui rendre hommage et apporter quelques idées pour les fans.
Le flamenco, la tragédie et la musique
Il est assez extraordinaire de constater que le titre contient tout le film (!). La traduction littérale est « je venge »; effectivement le film traite de vengeance entre deux familles ennemies. Autant le dire de suite, vous entendrez bien peu ce mot sous ce sens en Andalousie. Tout d’abord parce que la région est extrêmement sûre et ce genre de faits divers rarissimes. Et surtout, parce qu’un esprit vengeur aurait bien d’autres pensées plus amères et argotiques à faire ravaler. Passons au sens qui vient en fait directement à l’esprit. « Vengo » est souvent traduit par « Je vais », … et pourtant en castellano « Voy » est la forme correcte. « Vengo » constitue une conjugaison incorrecte… utilisée en Andalousie; et plutôt que signifier aller, elle est synonyme de venir/arriver (J’arrive). CQFD, le film Vengo n’est pas un voyage d‘apprentissage, mais bel et bien l’annonce du départ vers son destin. La typographie rouge est également assez évocatrice.
Le film sorti en VO dans les salles… et c’est la meilleure des idées pour goûter la gouaille andalouse. Les accents sont tellement forts et même parfois fermés (cerrao), qu’ils sont des protagonistes à part entière (no suena fino). Voir le film, c’est partager un moment avec des cousins du village d’à côté ou des quartiers populaires. Un régal. D’ailleurs, les rôles sont tenus par de véritables gitans, et acteurs amateurs.
La narration est linéale et simple: des scènes qui racontent l’histoire alternent comme un chapelet avec des fêtes flamenco (musique, danse, alcool)… Je trouve que le film fait échos, en gardant les distances, à la célèbre pièce Noces de Sang de Federico Garcia Lorca, dramaturgie en trois actes intercalées par des chants, qui touche des thèmes semblables. Deux tragédies méditerranéennes et pour le coup andalouses.
L’histoire, sans trop en dire
Caco, qui possède en partie le prostibule « El Rey » et chef de famille gitane, veille sur son neveu Diego et lui organise des fêtes flamenco. La mort de sa fille Pepa le ronge, tandis que son neveu, qui a une discapacité motrice, assouvit sa passion de flamenco…
Quelques clefs sur l’Andalousie dans le film
Le personnage principal est interprété par le danseur flamenco Antonio Canales (qui adore les tissus dans la vie comme sur l’écran).
Le cimetière représenté est typique en Andalousie.
La scène du pont se déroule à Séville sur le Pont de Triana, où l’on entend le mythique et rococo « Sevilla tiene un color especial » (Los del rio).
Le frère s’est réfugié au Maroc dans le Riff dans le village de Ketama (très connu pour le cannabis). C’est également un groupe mythique de flamenco-fusion, formé au début des années 1980.
La famille des Caravaca (« têtes de vache »!) s’est enrichie grâce à l’agriculture intensive de la fraise à Huelva, selon les dires de Caco avant de rentrer sur le café-bateau.
N’oublions pas des scènes très comiques qui transpirent la guasa andaluza : les deux amies qui se susurrent du flamenco à l’oreille, la scène pour capter du téléphone portable au milieu de nulle part; le vent qui souffle le duende dans l’arbre ; le taconeo sur la route.
Comme dans la vraie vie, les andalous élégants sortent avec vestes noires et cheveux longs (se sueltan la melena); les andalous sans complexe, avec la chemise ouverte.
La place des femmes dans le film. Malheureusement représentative d’un système patriarcal méditerranéen. Elles travaillent (même très vieilles), dansent le plus souvent pour le plaisir des hommes, se prostituent (apparemment dans la bonne humeur), et doivent se taire… Le film n’édulcore pas une certaine réalité, dans le plus grand naturel. On peut quand même affirmer que les mentalités ont bien évolué en Andalousie et le film ne représente certainement pas le quotidien. On notera que les chants les plus profonds (« jondos ») sont interprêtés par deux femmes, La Caita y La Paquera de Jerez.
La chanson « Naci en Alamo« est une adaptation du « Chant des gitans » Nas Balamo, issue du folklore rom de Grèce. Il est clair qu’Alamo a été choisi pour son homophonie. On peut gratté un peu plus et s’amuser avec les mots. #1. El Alamo est un village andalou à 75 km de Séville et qui compte moins de 50 habitants. # 2. On peut également évoquer la prononciation de l’Amour à l’andalouse, sans un r final. # 3.Finalement, ce que j’ai personnellement toujours compris et entendu… Alamo est le peuplier en espagnol, avec une petite inclination pour le peuplier blanc (Populus alba) qui est si commun sur les bords du Guadalquivir. Je suis née dans le peuplier… En définitive, une poétique andalouse, d’amour et d’errance. C’est beau, triste et tellement libre. L’interprétation de la jeune Remedios Silva Pisa possède un spleen très spécial. Plus d’informations sur cette chanson.
Fantasmes et réalités
En définitive, j’aime ce film. Il puise toute son identité dans l’Andalousie et met en scène une tragédie à la flamenco. C’est dramatique et frais… On y trouve beaucoup de spontanéité et de réel (on est reste très loin d’un reportage et de la vie quotidienne des andalous).
D’autres très beaux films ont porté le Flamenco au cinéma.